jeudi 10 novembre 2011

La ferme africaine


« J’ai possédé une ferme en Afrique, au pied du Ngong. La ligne de l’équateur passait dans les montagnes, à vingt-cinq milles au Nord. » Ainsi commence Karen Blixen, qui en dévidant simplement ses souvenirs, est parvenue à écrire le livre le plus dense, le plus nourri, le plus vivant qu’aucun Européen ayant vécu en Afrique ait rapporté sur ce continent.
Une immense chronique africaine, peine de bonhommie et de poésie, l’évocation d’un monde brûlant, violent, naïf et passionnant.
« Peu à peu on se laisse gagner par le calme de cette nature. Quand, avec le recul des années, je songe à ma vie en Afrique, je me rends compte combien j’ai été favorisée d’avoir pu mener une vie libre et humaine sur une terre paisible, après avoir connu le bruit et l’inquiétude du monde. »

Plus qu’un roman ce livre est un recueil de souvenirs sans ordre précis, ni repères temporels. Plus qu’un livre, je l’ai vu comme une grande fresque, une peinture. Car Karen Blixen peint l’Afrique telle qu’elle l’a vécue ; une Afrique ancrée en elle. Une Afrique personnage de roman à part entière, au même rang que ses habitants, celles et ceux qui l’ont servie avec dévouement et pour lesquels elle a un attachement et un amour profonds.

« La découverte de l’âme noire fut pour moi un évènement, quelque chose comme la découverte de l’Amérique pour Christophe Colomb, tout l’horizon de ma vie s’en est trouvé élargi. »

La nature est intiment liée aux hommes qui peuplent cette terre. Elle a envouté Karen Blixen, qui par ses mots nous montre tout l’émerveillement qu’elle porte à la faune et à l’espace qui l’entoure.

« Aucun animal ne peut être plus silencieux qu’un animal sauvage. »

« Les années qui virent Lullu et ses descendants fréquenter ma maison furent parmi les plus heureuses de ma vie. J’en étais arrivée à voir, dans mes relations avec les antilopes de la brousse, le signe de l’amitié et de la bienveillance, le don de l’Afrique. »

« En Afrique toute une vie animale semble s’éveiller dès le coucher du soleil ; l’espace se peuple alors mystérieusement. »



 « La forêt vierge est une région mystérieuse. Vous avez l’impression de pénétrer dans un fond de vieilles tapisseries dont les tons fanés ou assombris par l’âge  offrent une infinie variété de nuances. »

« On découvre les paysages les plus étonnants quand on survole les montagnes africaines. Mais ce sont peut-être les jeux de lumière entre les nuages qui réservent la surprise la plus merveilleuse. On traverse les arcs- en- ciel et les tempêtes vous emportent dans leurs remous. »

Sur le fond, je ne peux rien en dire de plus sans ôter le plaisir de la découverte, gâcher le voyage .Oui, il s’agit d’un voyage dans le temps et surtout dans les grands espaces, non encore pollués par des touristes pressés, et où les animaux étaient encore maîtres chez eux.

Sur la forme, 3 parties constituent cet ouvrage. La seconde intitulée " notes d’une émigrante »" est venue perturber ma lecture, le rythme de la narration. J’ai perçu ces notes comme une intrusion inopinée, superflue et même redondante par moment, dont je me suis affranchie assez vite pour retrouver la dernière partie et le plaisir de lecture avec.

L’écriture est celle d’une autre époque, avec des termes qui peuvent choquer les âmes sensibles " droits de l’hommistes". Ils sont ceux de l’époque, d’une certaine époque…Ils n’ont aucun caractère discriminatoire (mot à la mode de nos jour). Karen Blixen  aimé les Kikuyu, les Masaï ; elle les a protégés jusqu’à son dernier jour.

Le rythme de livre est celui de l’Afrique : lent, nonchalant .Le volume réduit des chapitres, et son nombre élevé donne une alternative salutaire au rythme. Les africains ont un rapport au temps qui leur est propre, et, Karen Blixen l’a très bien transcrit par le style et les mots.

« Les Noirs ont pour la grande vitesse que nous éprouvons pour le vacarme. Ils savent jouir de la durée. Jamais l’idée de la réduire ou de tuer le temps ne leur viendra ; plus il leur est donné d’en jouir et plus ils sont satisfaits. »

Enfin, je ne peux m’empêcher de parler du film que Sidney Pollack a tiré de ce livre. Je l’ai vu, à de nombreuses reprises. Même s’il n’est pas totalement fidèle aux mots de Karen Blixen (certains faits sont escamotés, certains personnages sont inexistants, et d’autres plus présents), le film me laisse un souvenir impérissable ; la magie des images, bien qu’il ait un peu vieilli, le choix des musiques, le regard de Robert Redford, sont, à mes yeux nettement supérieurs au livre qui ne rend pas de la même façon. Il n’empêche , cette lecture aura été un excellent moment.

Je précise que j'ai lu une édition ancienne traduite par Yvonne Manceron ( Le roman a été réédité en mai 2005 avec une traduction d'Alain Gnaedig basée sur le texte original danois.)

Karen Blixen- Gallimard collection Folio   n°1037-510 pages.

Karen Dinesen est née en 1885 dans une famille aristocratique. En 1895, atteint d'une syphilis non soignée, son père se suicide. La fillette est éduquée par sa mère, sa grand-mère et sa tante qui sont de confession protestante et par une gouvernante car elle n'est pas scolarisée. L’enfant est passionnée d'écriture et de dessins.
Désirant devenir peintre, elle suit des études à l’académie des Beaux-arts de Copenhague. En 1910, Elle part pour Paris puis pour Rome.
En 1914, elle épouse le baron Bror Blixen. Le jeune couple part s'installer en Afrique, au Kenya, où le baron vient d'acheter une ferme. Ils vont prendre une part active à l'effort de guerre.
Peu après son mariage, Karen apprend qu'elle aussi a contracté la syphilis. Cette maladie lui vaudra des séjours prolongés en Europe afin de se faire soigner.
En 1916, elle fait la connaissance du pilote anglais Denys Finch Hatton. Après son divorce d'avec Bror en 1925, ils deviennent amants. Karen se fera avorter en 1927. Denys meurt en 1931 dans un accident d'avion.
La baronne Blixen prend alors les rênes de la ferme aidée dans un premier temps par son frère qui finira par rentrer au Danemark. En 1931, quelques mois après la mort de Denys, Elle quittera l’Afrique ruinée pour ne plus jamais y revenir. De mauvaises conditions météorologiques plusieurs années de suite et la crise économique mondiale l'ont contrainte à vendre sa ferme.
Elle rentre alors au Danemark et se consacre à l'écriture. Au début de la seconde guerre mondiale elle est chargée par un quotidien Danois d'une série de reportage sur Paris, Londres et Berlin. Mais ce projet n'aboutira pas en raison de l'invasion du Danemark par les allemands. Elle écrira quand même régulièrement sur la guerre.
Connaissant de graves problèmes à la colonne vertébrale elle subit deux opérations. Elle a fini sa vie invalide mais a continué à écrire jusqu'au bout. Elle est morte à 77 ans.


Lecture commune avec George-Lystig- Sharon 

Pour le fun, j'inclus dans le challenge la littérature fait son cinéma organisé par Will .






6 commentaires:

  1. nos avis se réjoignent : un livre magnifique !

    http://loiseaulyre.canalblog.com/archives/2011/11/10/22631258.html

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  2. on semble toutes d'accord, reste à voir l'avis de Sharon ! ton édition donne 3 parties dans la mienne 5 ! je constate que toi aussi tu n'as pu t'empêcher de citer ;) !

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  3. Parce que tu as eu la nouvelle traduction; en tout cas le le suppose

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  4. Mimi, tu as rédigé une très belle chronique de ce livre, bravo !
    Ce fut une très belle lecture commune.

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  5. Merci du compliment, et merci de ton passage.
    C'est toujours plus facile avec un livre magnifique

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  6. Je note ce livre dans mes future découverte... Je me souviens d ela première phrase récitée telle qu'elle dans le film....

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